07 décembre 2006

Sans titre (quatre)

Elles m’avaient abandonné, mais elles reviennent au pas de course. Je pensais pourtant que le travail et les horaires « métro – boulot – dodo » les auraient fait taire. Non elles sont tenaces, elles s’accrochent.

Ces insomnies ne me dérangeaient pas à une certaine époque ; elles étaient moi. Plutôt j’étais elles, vivant la nuit, dormant le jour. J’ai toujours préféré travailler la nuit. Le monde extérieur me fascine plus lorsque résonnent à peine les bruits nocturnes et lorsque les flashs de la lumière cathodique de mes semblables disparaissent un à un dans la mosaïque de leurs fenêtres.
A Berlin, je vivais la nuit dans avec toute cette faune que l’on n’imagine croiser le jour que lorsque la lumière fait son apparition précoce à quatre du matin au mois de juin.
A Belleville je travaillais la nuit, accompagné du vieux Jack et d’une belle Gitane qui laissait s’échapper son filet légèrement bleuté au-dessus de ce cendrier dérobé il y à sept ans dans un bar du Kurfürstendamm
Parfois je sortais, je montais sur les hauteurs de la Somptueuse observer la Ville s’endormir et se réveiller dans cette ubiquité qui lui est propre…

...

Je n’ai plus la force de sortir la nuit.

Juste la force de me lever pour fumer une cigarette allégée en écoutant la radio, devenue triste dans l’obscurité sans la voix rauque de Macha Béranger.
Juste la force d’hésiter devant la bibliothèque pour finalement relire le Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras – dont certains diront que c’est le meilleur somnifère – que je redécouvre comme si je ne l'avais jamais lu alors que j’imaginais le connaître à la perfection.

Autrefois je voulais être Yann Andréa, peut-être parce que voulais-je que Tu sois Duras.
J’ai compris ensuite que je voulais l’incarner, non pas pour que Tu sois Elle, mais pour être simplement Lui. Le personnage mêlé à l’Amant. Le dernier Amant qui ne peut être compris que parce qu’il est symboliquement le premier.
Je crois qu’aujourd’hui je voudrais être Yann Andréa parce qu’il est apaisé, il est dépossédé de lui-même par l’écriture de l’autre, le personnage écrase l’Homme, il est libre …

« Je ne le vois presque jamais, cet homme, Yann. Il n’est presque jamais là, dans l’appartement où nous vivons ensemble, au bord de la mer (…) Il s’assied dans le hall de l’Hôtel du Golf et il attend, il regarde. Le soir il dit : « je me suis bien reposé, à l’Hôtel du Golf, j’étais tranquille. » Quelques fois il s’endort sur les canapés de l’Hôtel du Golf, mais il est bien habillé, il est très élégant, Yann, en blanc, alors on le laisse dormir. »





Marguerite Duras, La Pute de la côte Normande, Les Editions de Minuit, 1986, p. 12

[Soundtrack]

18 commentaires:

Anonyme a dit…

Il écrit en elle, comme certains aiment en Dieu.

Anonyme a dit…

C'est souvent la tension nerveuse qui tient éveillée, ...plutôt que de parcourir un bon livre tu devrais plutôt lire un navet, résultat soporifique garanti :o)
Ou bien faire le tour du pâté de maison dans un footing léger, ou bien respirer à fond et lentement en pensant à quelque chose d'agréable, ou bien faire l'amour ;-) ...après tout çà tu auras forcemment la zen-attitude pour rejoindre le royaume de Morphée !

Anonyme a dit…

Ou bien discuté avec moi...

Anonyme a dit…

Sinon il ya un truc que tu ne fais plus depuis longtemps et qui fais dormir c'est du sport!!!

sadoldpunk a dit…

Pas de conseils anti-insomnie, juste une petite remarque pour dire que tu as choisi LA chanson parfaite pour illustrer ton thème. Bravo

Anonyme a dit…

Ecrire sur un petit carnet tout ce qui passe par la tête jusqu'à épuisement. Quand on est vide et qu'on n'a plus rien à écrire c'est qu'on a vidé tout ce qui empêche de dormir. Et à ce moment là, ce n'est plus en toi mais sur le cahier donc tu peux dormir...

Berlin Belleville a dit…

@ Sony : D'une certaine manière il est question d'absoluité
@ : Myblogforyou : Merci pour les conseils, je saurai en tenir compte...;-)
@ cachet d'aspro 4000 : discuter avec vous vaut tous les anxiolitiques...
@ Thibault ami qui me veut du bien (ahhhh ...!!!!) : J'aaaadore le sport...!
@ Sad : Je trouvais qu'elle illustrait à merveille... (sinon la solution pour dormir je la connais c'est bien ça le problème...)
@ Imparfait présent : Eh eh, c'est bien pour ça que j'écris une note de blog alors que ça faisait un mois que ça ne m'était pas arrivé...

Anonyme a dit…

C'est drôle...Je croyais être la seule à Belleville à fumer des gitanes avoir des insomnies et lire Duras! :)

Anonyme a dit…

Et les films de Duras ils sont comment ?

Anonyme a dit…

Très belle cette note.

Anonyme a dit…

Le désespoir est une forme supérieure de la critique..... Pour le moment, nous l'appellerons "bonheur", les mots que vous employez n'étant plus " les mots" mais une sorte de conduit à travers lequel les analphabètes se font bonne conscience. Mais...

la solitude...


( Léo Ferré )

Berlin Belleville a dit…

@ Rouge baiser : je vois que les valeurs ne se perdent pas sur les hauteurs...on va bientôt fonder une communauté... :)
@ Sony : les films de Duras seule sont un peu chiants mais parfois admirables. Quant au plus connu, "Hiroshima mon Amour", réalisé par Resnais et dont elle fut la scénariste, est tout simplement génial...
@ sur le fil : merci...
@ Annonyme (Léo Ferré) : que rajouter de plus sinon que la critique peut être une forme de désespoir...
@ tous : le lien musique est rétablit...

sadoldpunk a dit…

oh oh... ya du neuf par ici... c'est plutôt seyant.

Anonyme a dit…

Tu as bien de la chance d'avoir trouvé celle pour qui tu seras le dernier...j'avais trouvé ma Duras mais elle s'est échappée...être Yann et l'Amant, le rêve, la vie.

Anonyme a dit…

Je te souhaite une bonne année 2007 !

Anonyme a dit…

Que 2007 t'apporte l'inspiration créatrice à la réalisation de nouvelles notes, ...pour le plaisir de te lire ;-)
BONNE ANNEE !!!!

sadoldpunk a dit…

espérons qu'il n'est pas défunt, justement : peut-être simplement un coma léger... bonne année bloguesque!

Broutille a dit…

Où sont tes nouvelles aventures ? ^^ non je sais que tu as beaucoup de boulot, bon courage pour ça d'ailleurs, et à bientot (vraisemblablement plutôt réellement que virtuellement en fait)