25 janvier 2010

(Ré)écouter Gainsbarre

« Tu sais, je ne suis pas autant dans la fascination de Gainsbourg que toi » m'a-t-on dit quand j'ai proposé d'aller voir Gainsbourg, vie héroïque.

Je suis probablement dans la fascination. Mais ma fascination va au delà du 'personnage', elle prend en compte l'œuvre, et une œuvre ne se lit que dans son intégralité contrairement au(x) personnage(s).

L'annonce de la mort de Gainsbourg en mars 1991 signifiait pour moi la disparition de ce personnage un peu effrayant et au regard triste des plateaux télés. Je n'avais pas encore compris ses 'provocations' et le fumeur intempestif de Gitanes qu'il était ne me choquait pas outre mesure. Aussi curieux que cela puisse paraître aujourd'hui, les fumeurs et la fumée faisaient encore partie de l'environnement quotidien.

Dix ans après sa mort, on essayait d'oublier le personnage provoquant, les journaux faisaient son éloge, sous le titre «réécouter Gainsbourg, point barre. »

Il fallait oublier Gainsbarre le personnage répugnant, qui suintait jusque dans l'œuvre, dans la mise en scène de l'œuvre.

« Et ouais c'est moi Gainsbarre
On me trouve au hasard
Des night-clubs et des bars
Américains c'est bonnard »

'Ecce Homo' – Mauvaises nouvelles des étoiles, 1981



....

« Gainsbourg c'est un truc qu'on a à se raconter »

(Joann Sfar)

On se le raconte chacun à notre manière. On se raconte les souvenirs de ses chansons, ces moments partagés, l'érotisme et le rythme, la sensualité et les mots.

Joann Sfar ne dépossède pas Gainsbourg de son personnage, de ses personnages – malgré la mise en scène de ce double qu'il finit par intégrer. Il se raconte Gainsbourg, par la Judéité et par la tête de chou.

Il laisse Gainsbourg se raconter lui-même, jusqu'à la mise en abyme quand Gainsbourg se raconte en Gainsbarre. Et c'est alors Gainsbourg qui se dépossède de lui-même. Il se vide pour se protéger, pour ne plus intervenir sur sa vie, pour la laisser aux autres. Pour prouver que l'image ne vaut rien pour elle-même, comme le montre ce court passage du film lorsque quelqu'un se met à le grimer devant lui dans un bar en lui disant qu'il l'a vu « aux guignols » sans provoquer la moindre réaction.

Le personnage se confond avec la caricature de sa caricature, il n'existe plus.

Serge Gainsbourg chez lui en 1984 (P. Duval)

Et puis on oublie ce qui n'est pas une provocation pour en revenir à l'essentiel.

Et on réécoute la musique.


J'vous laisse, j'ai un paquet d'Gitanes à finir pour oublier un peu Mélody...

[Soundtrack]

4 commentaires:

Lunaba a dit…

comme souvenir et parfum de l'âme, je garde en moi cette sublime mélodie *fuir le bonheur de peur qu'il se sauve*, qui résume bien l'homme qu'il était, je crois... la fragilité et l'équilibre incertain des failles et de la lumière ^^

Berlin Belleville a dit…

Un très bon résumé en effet, je n'avais pas pensé à cette référence...

La certitude de la fragilité...

polymagoo a dit…

Gainsbourg s'est mythifié lui-meme en bon manipulateur de médias.
Aujourd'hui il est canonisé (Vénéré par les anglo-saxons, c'est ironique quelque part), mais il etait mal vu des milieux populaires ca trop sophistiqué, et detesté par le milieu aisé car parvenu et décavé...
(Avant Love on the Beat surtout)

Les meilleurs disques de Gainsbourg n'ont jamais marché (Les merveilles jazz avec Alain Goragué, les concepts albums avec Jean-Claude Vannier...).
Il en etait totalement conscient.

En ce moment on n'arrete pas de sortir des films biographiques sur des musiciens ou des groupes, c'est très etrange, comme si il n'y avait rien d'autre, rien de nouveau ou de valable...


"Die Häßlichkeit ist höher als die Schönheit, in dem Sinne, daß sie andauert"
(Georg Lichtenberg, volé par Gainsbourg.

Il méritait sans doute bien une eternité, le fumeur impenitent...

Berlin Belleville a dit…

Il a toujours eu droit à une éternité pour ma part...(en tant que fumeur impénitent peut-être)

C'est vrai que les premiers albums sont souvent oubliés, les derniers reniés, trop intimistes pour les uns, trop 'populaires' pour les autres.

Mais entre les deux il y a des bijoux, 'Melody' qui ne se laisse oublier, 'Rock around the bunker' magnifique comme catharsis...

Et Bardot, sa Bonnie, dont on ne se lasse pas...