Mon vélo acheté sur le marché turc à Berlin et appelé depuis Ulrike – c’est une fille – était resté trop longtemps dans son placard. Il est sorti faire un tour aujourd’hui. A l’heure où les camionnettes font leurs livraisons, où les voitures se pressent vers le centre de Paris, les pistes cyclables se font oublier, comme les feux rouges. La circulation du matin à peine entamé est toujours éparse et chaotique. Le soleil était là pour éclairer Notre Dame qui se laisse deviner depuis la rue Beaubourg et pour se refléter dans la Seine avant que ne se laisse découvrir avec humour la longueur de la rue Saint-Jacques, où se dessine tel un minaret l’observatoire de la Sorbonne.
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Il se passe toujours quelque chose d’enthousiasmant à l’Institut de Géographie. Des moments intenses, simples ou uniques, généralement agréables.
Les géographes sont les derniers à laisser leur centre ouvert dans le quartier latin par ces temps de tensions. Peut être parce qu’il est un peu à l’écart et qu’il n’est connu que des initiés et des adeptes, souvent inconditionnels.
Sur le fronton la banderole annonce la couleur de la grève, qui est festive, contrairement aux énormes AG de la Sorbonne où se retrouve la faune de la révolution prolétarienne et du groupuscule d’extrême-gauche. Ici le tableau noir dans le hall central informe avec des craies de couleur, de manière scolaire et ludique, du planning de la semaine. Quelques tables où se retrouvent les membres du comité de mobilisation. Le tableau indiquait pour ce matin de 8h à 10H « activité manuelle » de manière aussi ironique que s’il s’agissait du programme de la MJC du coin.
Et effectivement l’activité manuelle s’était étendu à mon arrivée jusque sur le trottoir devenu un prolongement spatial de la lutte, une interface avec l’extérieur. Les passants du Ve arrondissement peu habitués à ce genre de pratique étaient le plus souvent surpris, parfois souriants. La banderole était en construction, les tables sorties pour le travail collectif. Et puis l’odeur de la peinture en bombe et les pochoirs – le géographe aime le coloriage – pour représenter la terre, cet objet d’étude et de lutte, qui tente de se libérer de ses chaines…
Quand les professeurs arrivent, amusés et intéressés, les mains pleines de peintures des étudiants se tendent tout en s’excusant de ne pouvoir leur serrer la main à ce moment là. Une solidarité entre les professeurs et les étudiants s’est installée, le comité de mobilisation regroupe les deux parties.
La « grève active » promet une nouvelle manière d’enseigner dans les amphis et le fait. Un enseignement militant, non seulement dans le fond mais aussi dans la forme, des projections, des débats, des étudiants présents, motivés et intéressés, des professeurs qui ne tiennent pas le programme mais inculquent leur matière. Une utopie qui va jusqu’à la projection de l’An 01.
Quelque chose de nouveau qui permet d’apprécier ce mouvement plus ample et plus intéressant que ceux qui se contentent du triangle République-Bastille-Nation. Une forme nouvelle d’enseignement qui existe par la lutte, qui ne durera peut être pas mais qui restera, probablement sur une frustration, comme quelque chose de beau, d’intense et de vivant.
Je me suis assis sur les marches à regarder les bombes finir de «colorier » la banderole prévue pour la manif de l’après-midi. J’ai roulé une cigarette et je l’ai offerte au clochard qui est toujours là dans le hall, à ne déranger personne derrière sa barbe hirsute mais élégante.
J’ai fumé une cigarette avec lui sans rien dire.
Et puis quelqu’un a dit « heureusement, il fait beau…! »
[Soundtrack]
Sur le fronton la banderole annonce la couleur de la grève, qui est festive, contrairement aux énormes AG de la Sorbonne où se retrouve la faune de la révolution prolétarienne et du groupuscule d’extrême-gauche. Ici le tableau noir dans le hall central informe avec des craies de couleur, de manière scolaire et ludique, du planning de la semaine. Quelques tables où se retrouvent les membres du comité de mobilisation. Le tableau indiquait pour ce matin de 8h à 10H « activité manuelle » de manière aussi ironique que s’il s’agissait du programme de la MJC du coin.
Et effectivement l’activité manuelle s’était étendu à mon arrivée jusque sur le trottoir devenu un prolongement spatial de la lutte, une interface avec l’extérieur. Les passants du Ve arrondissement peu habitués à ce genre de pratique étaient le plus souvent surpris, parfois souriants. La banderole était en construction, les tables sorties pour le travail collectif. Et puis l’odeur de la peinture en bombe et les pochoirs – le géographe aime le coloriage – pour représenter la terre, cet objet d’étude et de lutte, qui tente de se libérer de ses chaines…
Quand les professeurs arrivent, amusés et intéressés, les mains pleines de peintures des étudiants se tendent tout en s’excusant de ne pouvoir leur serrer la main à ce moment là. Une solidarité entre les professeurs et les étudiants s’est installée, le comité de mobilisation regroupe les deux parties.
La « grève active » promet une nouvelle manière d’enseigner dans les amphis et le fait. Un enseignement militant, non seulement dans le fond mais aussi dans la forme, des projections, des débats, des étudiants présents, motivés et intéressés, des professeurs qui ne tiennent pas le programme mais inculquent leur matière. Une utopie qui va jusqu’à la projection de l’An 01.
Quelque chose de nouveau qui permet d’apprécier ce mouvement plus ample et plus intéressant que ceux qui se contentent du triangle République-Bastille-Nation. Une forme nouvelle d’enseignement qui existe par la lutte, qui ne durera peut être pas mais qui restera, probablement sur une frustration, comme quelque chose de beau, d’intense et de vivant.
Je me suis assis sur les marches à regarder les bombes finir de «colorier »
J’ai fumé une cigarette avec lui sans rien dire.
Et puis quelqu’un a dit « heureusement, il fait beau…! »
[Soundtrack]
- J'veux du soleil - Au p'tit bonheur (Le mal de vivre, 1992)
7 commentaires:
"Amazing grace"
et accessoirement, merci de parler de façon si poétique de l'institut de géo, et de ces instants de décalage...L'institut havre d'idéalisme dans un Paris poisseux (si si, malgré le soleil) et dans un putain de quartier de faux-cul (vieille rancoeur contre la Sorbonne, qui ne passe toujours pas).
Et toi, sur assis sur ta marche...
Tout un symbole
"Amazing Grace et même un peu plus...
L'institut de Géo est la poésie incarnée, pour plein de raisons, crasseux, ouvert, simple. Parce qu'il est l'opposé de la Sorbonne et qu'il la contrebalance...
Parce que j'étais assis à côté de ce clochard...
Cet institut a l'air d'après ce que tu décris d'une définition même de l'utopie. forcément, ça me plaît. La note est belle.
Ce qui s'y passe est une forme d'utopie concrète et discrète, qui se dissimule un peu...
J'ai parlé avec le Clochard en fumant une cigarette aujourd'hui...
Hum, le vélo sauve de l'oppression que Paris fait tenir sur nos petites épaules. Mais qu'est-ce qui nous sauvera de ce gouvernement?
Jolie note.
Le vélo nous sauve de l'oppression de Paris, parce que c'est un moyen de se sauver.
Peut être que l'institut de Géo nous sauvera de ce gouvernement, mais j'en doute un peu quand même.
Merci
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