Nous étions au mois de mai 1995. Dans le TGV cet homme en face de moi lisait Mitterrand et les 40 voleurs. Je ne comprenais pas très bien le sens de ce titre, je ne comprenais pas que Jean Montaldo était un pamphlétaire qui dénonçait ce qu’il y avait de plus sombre dans les années Mitterrand. Pour moi, le parfait représentant de la « génération Mitterrand », il s’agissait de la fin de la fin de mon enfance ; il avait été remplacé par celui qui, je me souviens encore des unes du Monde chez mes grand parents, avait été son premier ministre.
Ce président qui, faute d’en avoir vu d’autre, était le meilleur. Quelques mois plus tard j’ai compris par l’ampleur des manifestations et des grèves de l’hiver 1995 que quelque chose avait changé. Peut être était-ce moi qui avait changé.
Après douze ans, alors que s’achève la présidence du successeur, il m’arrive de repenser à ces années. Je n’ai toujours pas lu Mitterrand et les 4O voleurs, mais j’ai compris que cette présidence n’a pas été aussi « rose » que je l’avais fantasmée.
Peut-être est-ce pour cela que je repense de plus en plus aux «années Mitterrand.» J’ai acheté la semaine dernière Le bureau de poste de la rue Dupin. J’ai toujours aimé Duras et j’avais été subjugué par La Douleur. Je voulais encore entendre cette histoire tragique et romantique du sauvetage in extremis de Robert Antelme que François Mitterrand avait retrouvé par hasard à Dachau. Peut être aussi que j’essaie d’excuser inconsciemment celui que l’on a accusé d’avoir serré la main de Pétain et d’être ami avec René Bousquet. J’aime à penser que François Mitterrand était sincèrement un homme de culture. Son amitié avec Marguerite Duras, marquée par la guerre et la résistance, dénote quand on regarde les soutiens « culturels » des Hommes politiques actuels.
Ils parlent, ils se comprennent, et s’interrogent à la veille de la défaite socialiste aux législatives de 1986.
« M.D. – (…) J’ai dit dans un papier qui a paru que nous, la gauche, on avait un président de la République clandestin. Je vois Léon Blum, Mendès France et François Mitterrand comme relevant de la clandestinité. (…)
F.M. – Si j’essaie de comprendre ce que vous venez de dire, d’abord, au fond, le seul fait que la gauche ait un président de la République vous parait anormal…
M.D. – Presque paradoxal, oui…
F.M. – Donc c’est une certaine forme, paradoxale, de la clandestinité. Normalement historiquement elle ne devrait pas y être. Mais elle y est. »[1]
La gauche n’aurait la possibilité d’être au pouvoir que par un « hasard de l’histoire. » Et Marguerite Duras de l’expliquer : « tout se passe comme si la France était de façon latente à gauche et de façon manifeste à droite. »[2]
Son optimisme est ironique. Aujourd’hui après 12 ans de Chiraquie la France est plutôt « manifestement à droite et de façon latente à l’extrême droite. »
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L’acmé de mon intérêt pour les « années Mitterrand » a été atteinte hier par le film de Robert Guédiguian, Le promeneur du champ de Mars. Ce film a ceci d’intéressant qu’il met en scène l’intrinsèque lien entre la fin parallèle de la vie et de la présidence de François Mitterrand. C’est l’aboutissement de cinquante ans de vie politique qui ne peuvent survivre à la fin d’un règne.
Mitterrand affirme : « Je suis le dernier grand président, après moi il n’y aura plus que des financiers. » C’est toute la morgue et l’ego du président qui se reflètent dans cette modeste réflexion. Pourtant il n’avait peut-être pas tort.
Les élections présidentielles ne m’ont pas passionné. Elles m’ont même franchement dégoûté. Je ne suis pas nostalgique des années Mitterrand, je m’interroge sur cette phrase lancée comme un signe de dépit cynique : « mépriser l’événement, avoir la passion de l’indifférence. »
Ce sera sûrement la meilleure façon de supporter les résultats de dimanche prochain…
6 commentaires:
Mmmm... intéressant ton texte. je ne te savais pas si fan de Duras, je découvre ça en lisant ton blog. je crains que nous soyions si blessés dimanche prochain que peut être, en effet, l'indifférence ne soit la meilleure solution. mais comment être indifférent à quelqu'un qui ne veut pas que l'Etat subventionne les études inutiles (donc les nôtres) ? le danger, et pour nous en premier, est là. la France se radicalise, c'est évident, et il est fort possible qu'un président de gauche ne soit effectivement qu'un accident de l'histoire. malheureusement.
c'est rigolo cette histoire d'accident, c'est ma principale thèse pour la victoire des soc'dem aujourd'hui.
la "gauche" va passer, mais c'est un accident.
(et puis les accidents, ils se provoquent...Mitterrand à battu Giscard grâce à Chirac...et puisqu'il déteste Sarkozy... Alors pourquoi pas... cependant il est vrai que DSK n'a pas perdu ses ambitions présidentielles et qu'il a fait en sorte de faire perdre Royal pour sans aucun doute penser à 2012 pour lui... ce qu'avait donc fait Chirac avant lui.)
Mon père m'a toujours dit: il ne faut jamais croire les socialistes.
Mais Renaud que j'écoutais peut être plus que mon père chantait les louanges de tonton...
sentiments ambigüe pour le petit boutchou que j'étais.
"Soyons désinvoltes, n'ayons l'air de rien".
Sinon ya quelqu'un qui enregistre le débat ce soir, je bosse tard et j'ai pas la télé...
Y'a a pas à hésiter face à ce monstre;pas la peine d'intellectualiser le débat ou de ragarder derrière nous;la réalité nous force à agir et réagir!
@ Sorcière camomille : J'aime Duras malgré ses défauts...
Je ferai mes commentaires sur l'élection après dimanche...ou pas on verra !
@ l'AdCR : En même temps quand tu entends ce que Renaud a fait dernièrement j'ai presque plus envie de croire les socialiste que de l'écouter lui...
@ Sad : "Todo está aquí", tout est là...
Je n'ai pas la télé non plus cher ami, je n'ai donc pas pu te l'enregistrer, mais à mon avis si tu vas sur Dailymotion...
"para la queja mexica
este sueno de america
celebremos la aluna
de siempre, ahorita"
@ Benji : Je suis assez d'accord avec vous sur le premier point.
Par contre je ne vois pas de problème à lier la réflexion et l'action. L'une n'est pas le contraire de l'autre, bien au contraire, elles sont interdépendantes.
Pour ce que j'ai vu du débat d'hier soir, je pense qu'un peu d'intellectualisation n'eut pas été de trop…
Une petite anecdote me reviens, et encore à propos de Mitterrand. Quand il posait pour cette photo qui était dans les mairies devant une bibliothèque avec dans les mains les Essais de Montaigne, il "intellectualisait" le débat, il symbolisait la culture nécessaire à tous...
Putain, oui, la culture, c'est un truc qui va bientôt disparaître. Un truc lié à l'Education nationale, sans aucune créativité... un cinéma français dirigé par Jean Reno... youpi.
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